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histoire-geo-ensemble.overblog.com

Un blog sur l'histoire, la géographie et l'éducation civique enseignées dans un collège de Fontenay-sous-Bois

Plongée dans un Sonderkommando: le fils de Saul.

Le film Le fils de Saul plonge le spectateur dans le travail du Sonderkommando d'Auschwitz c'est à dire au coeur de l'extermination voulue par les nazis.

Le Sonderderkommando ou "commando spécial" est composé de déportés sélectionnés (avant une élimination programmée elle aussi) pour faire fonctionner, les installations de mise à mort et d'élimination des cadavres.

Le film est comme calé sur l'épaule d'un de ces déportés Saul Ausländer dont l'identité est elle même symbolique. Saul est en effet le nom biblique du premier roi d'Israël et Ausländer en allemand signifie étranger.

La bande annonce du film.

Plongée dans un Sonderkommando: le fils de Saul.

Quelques hommes ont réussi à survivre à ce Sonderkommando. un documentaire a tenté de montrer ce que fut cette installation dans le contexte du centre d'extermination d'Auschwitz.

Au delà de l'intrigue choisie par le réalisateur hongrois László Nemes pour suivre son personnage central (la volonté de ce dernier d'enterrer un garçon qu'il considère symboliquement (?) comme son fils) ce film réussit à montrer une réalité pourtant difficile à imaginer.

Trois éléments me semblent en ressortir de façon magistrale:

1) le meurtre de masse qui est un des aspects majeurs de la politique nazie en particulier à l'encontre des juifs d'Europe dans ce lieu. Rappelons qu'en 1944 ce sont essentiellement les juifs de Hongrie qui furent exterminés au cours de l'été puis ceux de Slovaquie à l'automne. Même si l'on sait que la majorité des juifs assassinés par les nazis le furent bien auparavant, les massacres de masse commençant en URSS dès l'été 1941, le centre de mise à mort d'Auschwitz reste un lieu symbolique de par le nombre de personnes qui y furent éliminées.

2) la résistance des détenus du Sonderkommando, ces quelques sursitaires qui étaient destinés à la mort et qui ne cessèrent jamais de s'organiser et de lutter. Bien entendu, cette Résistance est sans commune mesure avec ce que l'on peut qualifier de Résistance à l'extérieur des camps, même en zone occupée. Cependant les faits sont là. Des détenus ont pris clandestinement des photographies, d'autres ont écrit sur des rouleaux qu'ils ont enterré puis retrouvés ensuite. Ces textes, témoignages directs constituent des sources majeures pour la connaissance de l'extermination.

Photo du Sonderkommando du camp d’Auschwitz-Birkenau prise par Alex Errera, membre d’un Sonderkommando, décédé en 1944.

Photo du Sonderkommando du camp d’Auschwitz-Birkenau prise par Alex Errera, membre d’un Sonderkommando, décédé en 1944.

3) Le film montre aussi la révolte armée du 7 octobre 1944 menée par les membres du Sonderkommando avec la complicité matérielle de détenus du camp de concentration voisin de Birkenau. Ce sont par exemple des femmes résistantes de ce camp qui ont réussi à fournir de la poudre aux hommes pour provoquer les explosions.

Un article paru en mai 2014 dans le journal L'Humanité explique de façon synthétique et claire les tenants et les aboutissants de cette révolte à laquelle participèrent quelques résistants juifs déportés de France.

Un des survivants de cette révolte, le peintre français David Olère, réalisa ensuite un tableau intitulé La révolte du Sonderkommando. Il a été remis par son fils au Musée de la Résistance Nationale de Champigny-sur-Marne.

La Révolte du Sonderkommando, tableau de David Olère, Musée de la Résistance Nationale.

La Révolte du Sonderkommando, tableau de David Olère, Musée de la Résistance Nationale.

J'avais le 29 décembre 2014 consacré un post à l'analyse de ce tableau réalisée en histoire des Arts par la revue du Musée de la Résistance.

Un autre témoignage sur le Sonderkommando d'Auschwitz, écrit celui-ci, est disponible en ligne. Il s'agit de la déposition de Dow Paisikovic faite le 17 octobre 1963 lors d'un procès.

Texte factuel, précis et on ne peut plus clair sur ce que fut le Sonderkommando d'Auschwitz dont il est question dans Le fils de Saul.

Mais n'oublions pas qu'il y eut d'autres centres de mises à mort où quelques déportés aussi avaient été sélectionnés pour cette tâche sans qu'aucun ou presque n'ait pu en réchapper: Chelmno, Majdanek, Treblinka... Sobibor est un peu différent puisque la révolte du 14 octobre 1943 permis à 300 prisonniers de s'échapper. 50 d'entre-eux survécurent à la guerre.

Enfin, en dehors des "centres de mise à mort industriels" de l'Est, il a existé aussi dans les camps de concentration des Sonderkommando. Si leur rôle était un peu différent par l'échelle du nombre de morts et parfois l'absence de chambres à gaz, il s'agissait aussi pour eux de se faire disparaître les cadavres des déportés assassinés ou morts dans les camps.

Plongée dans un Sonderkommando: le fils de Saul.

Le témoignage qui suit est un des rares qui nous soit parvenu de ces commandos spéciaux moins connus car étant un des éléments de plus petits camps.

Il a été rédigé par Jacques Damiani (1924-2015), jeune résistant français déporté à Dachau en juillet 1944 puis transféré au camp d'Hersbruck situé à proximité de Nuremberg le mois suivant.

Après plusieurs actes de résistance dans le camp, il est envoyé à la compagnie disciplinaire en mars 1945 puis au Sonderkommando.

Voici le récit qu'il a fait de son passage dans ce kommando.

Ce fut je crois la journée où tout espoir de survivre m’abandonna. Je ne pourrais tenir encore quelques jours. La nuit fut courte et je ne pus que peu sommeiller tellement je me sentais à bout et épuisé. Et à nouveau debout, le “café“ et en rangs par cinq. Mais, fait bizarre, nous vîmes partir tous les kommandos et seul notre groupe restait au garde-à-vous sur la place d’appel. Une partie des kapos avaient été convoqués à la strafbstube. Allaient-ils nous liquider ? Au bout d’un temps qui me parut interminable, un S.S. vint nous faire, en vociférant, un bref discours par lequel je crus comprendre que nous allions aider le sonderkommando, le commando du crématoire dont d’ailleurs la cheminée ne fumait plus.

Cette affectation tenait au manque de charbon pour le crématoire, dont la cheminée ne vomissait plus sa noire et lourde fumée, ainsi qu’à l’accumulation de cadavres dont il fallait se débarrasser. Elle me sauva la vie (!). Il s’agissait de brûler en forêt les monceaux de détenus, que chaque jour la charrette de ramassage amenait près du crématoire devenu inutile.

Immédiatement, nous avons dû charger les corps sur des camions et le convoi nous emmenait en montagne à une quinzaine de kilomètres. Là, sur un grand bûcher, on brûlait les cadavres. C’était un grand trou, profond de plus de 2 mètres. Au dessus du trou reposait un grand gril fait de rails. On y mettait une couche de bois, puis des corps, à nouveau du bois, le tout arrosé d’une sorte de bitume. Il brûlait environ 190 à 200 cadavres dans une horrible odeur de chair calcinée. Pendant que certains “rayés“ entretenaient le bûcher, nous retournions au camp chercher un autre chargement.

Travail exécrable : la vision de ces corps décharnés, exsangues dont les orbites paraissaient toujours vous regarder, m’a hanté dans mes cauchemars pendant des mois et des années après le retour. Mais physiquement ce travail était somme toute léger eu égard au transport des rails du kommando disciplinaire. Et puis il y avait longtemps que nous vivions si près de la mort que le transport de ces cadavres nus nous laissait sur le moment presque indifférents. Presque. Le long du parcours, j’essayais à chaque fois de prendre des repères visuels pour, après, si je survivais, retrouver les lieux de ces crémations. Cela dura une dizaine de jours. Lorsqu’une première colonne évacua le camp d’Hersbrück début avril, les S.S. fuyant l’avance des troupes soviétiques, je profitai de la pagaille, pour me mêler aux partants au lieu de gagner le groupe du kommando.

Cette intuition devait me sauver la vie. Je l’appris bien plus tard en assistant à Nüremberg, en mai 1998, à un congrès de l’association des anciens détenus allemands des camps (V.V.N. de Bavière).

Je pus rencontrer un camarade allemand du camp de Flossenburg chargé par les Américains de retrouver les endroits où furent brûlés les morts du camp d’Hersbrück. Deux endroits sur trois purent être retrouvés. Il y avait une hauteur de plusieurs mètres de cendres et d’ossements calcinés. Sur le dessus, les corps des détenus du Sonderkommando tués d’une balle dans la tête. Les nazis avaient supprimés les témoins gênants. Deux monuments marquent les lieux de ces crémations et exécutions. C’est étrange pour moi de penser que je suis le dernier survivant et témoin direct de ce Sonderkommando.

Même si Hersbruck ne fut pas Auschwitz, ni par sa fonction (il n'était pas équipé de chambre à gaz), ni par sa taille (10 000 déportés y passèrent), ni par sa durée (11 mois de mai 1944 à avril 1945), le mot de Sonderkommando y fut aussi employé et des déportés y furent affectés pour faire disparaître, dans le four crématoire puis en forêt, les corps de leurs camarades.

C'est aussi pour cela que le film Le fils de Saul a connu une raisonnance bien plus large que la simple connaissance du centre de mise à mort d'Auschwitz. Grand prix du festival de Cannes 2015, il dégage une puissance née de la proximité, de l'immersion du spectateur dans l'Histoire et sur l'épaule d'une certaine folie du personnage de Saul qui entend enterrer ce "fils" qui représente encore sa part d'humanité.

Un film difficile, dur et fort mais au delà de l'allégorie surtout une leçon extraordinaire d'attachement de ces hommes à ce qui fait rester humain. La capacité d'attache à l'autre fut-il le cadavre d'un enfant. Un hymne à la vie jusques dans la mort avec le sourire final de Saul.

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