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Un blog sur l'histoire, la géographie et l'éducation civique enseignées dans un collège de Fontenay-sous-Bois

Maurice Cling: un témoin, un acteur de l'histoire, un camarade, un ami...

Maurice Cling est décédé le 23 novembre 2020 à l'âge de 91 ans. Je voulais ici lui rendre un hommage particulier et personnel. 

 

J'ai connu Maurice il y a plus de vingt ans et j'ai eu la chance de le fréquenter et de travailler avec lui durant des années. Il était président du jury du prix Marcel Paul qui récompensait chaque année des travaux de recherche sur la déportation. Ce prix était décerné par la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résitants et Patriotes (FNDIRP) dont Maurice fut l'un des dirigeants. J'ai eu l'occasion avec lui d'apprendre la rigueur historique et l'enthousiasme face aux découvertes portées par ces étudiants. 

 

Maurice Cling en visite à Dachau.

Maurice Cling en visite à Dachau.

Et puis Maurice était un linguiste, qui m'a fait partager l'amour de la langue et le sens des mots. Le sens ce que l'on écrit pour raconter et notamment pour raconter l'univers concentrationnaire. Lui l'avait fait pour raconter son expérience. Il avait écrit dès son retour des camps pour raconter. Raconter avec amour et affection sa famille, sa mère Simone, son père Jacques, son frère Willy. Un livre réédité en 2015 dans lequel il avait parlé d'Auschwitz, ce qu'il y avait vu et ce qu'il en comprenait. 

Maurice Cling: un témoin, un acteur de l'histoire, un camarade, un ami...

Et puis Maurice savait comment témoigner. Comment parler de Résistance. C'est d'ailleurs au Musée de la Résistance Nationale qu'il avait remis le tableau des médailles de son père. Ce tableau que Jacque Cling avait mis en vitrine dans son magasin lorsqu'il avait dû apposer une affiche infamante mentionnant : "entreprise juive". Acte de résistance symbolique au combien fort et solennel. 

Maurice Cling: un témoin, un acteur de l'histoire, un camarade, un ami...

Et puis Maurice Cling était surtout un ami de mon père Jacques Damiani. Ensemble durant des années et des années au tournant du siècle ils ont témoigné en particulier dans les lycées. Devant des centaines d'élèves. Je les ai accompagnés parfois. 

 

Ils formaient un beau duo, un duo bien complice tant leurs histoires étaient complémentaires. Maurice le jeune garçon juif choyé par sa famille et mon père bien plus "aventurier", jeune résistant. Tous deux avaient fini leur parcours de déporté à Dachau. 

 

Ils avaient entre eux de l'amitié, de l'affection, une complicité installée au fil des ans chez ces deux vieux militants communistes. Les récits de leurs vies dans les camps se rejoignaient et se répondaient magnifiquement pour faire comprendre aux jeunes, dans la mesure du possible, ce qu'ils avaient vécu. Maurice disait souvent : "Le déporté représentatif est un déporté mort. Nous étions tous destinés à mourir". Et mon père ajoutait comme en forme de défi : "Oui mais nous on est là, on les a eu ces salauds !"

 

Il faut dire qu'ils ont été, jusqu'à la fin de leurs jours attachés à la vie et aux simples bonheurs de celle-ci. Etonnés jusqu'au bout d'avoir été des rescapés si longtemps. 70 ans pour mon père et 75 pour Maurice depuis la libération de Dachau... "Si on nous avait dit ça à l'époque on aurait crié au fou" disait papa. 

 

Les deux vidéos qui suivent donnent la parole à Maurice. Il est intéressant de les écouter.  

Et puis Maurice et mon père voulaient comprendre ce qui leur était arrivé. Ils avaient réfléchi au sens de leur parcours. Au sens de la Résistance. 

 

Le texte qui suit, issu de la conclusion du livre de Maurice est de ce point de vue remarquable. Il évoque la Résistance dans les camps et la victoire des déporté sur les nazis. La victoire de l'humanité sur la barbarie par la Résistance. C'est une leçon de vie remarquable. Et pour ces mots je voulais remercier Maurice. 

"Auschwitz ne fut pas seulement le théâtre d’un immense massacre – selon une idée très répandue confortée par les photos atroces de 1945 – ou un centre de mise à mort industriel et étatique sans précédent dans l’histoire – pour qui est mieux informé -, il fut aussi et surtout peut-être un échantillon de ce que le nazisme réservait à l’humanité. Dans ses plans gigantesques, le complexe d’Auschwitz aux multiples fonctions préfigurait un Ordre nouveau planétaire.

Il peut sembler choquant de considérer qu’il ne constitua qu’un début d’application de ce projet, mais peut-on douter que sans l’écrasement militaire du régime, l’œuvre de destruction massive de populations entières – sans parler des autres victimes de la répression, de la terreur et de la guerre – se serait poursuivie ? Quelques mois, quelques années de plus, selon les péripéties militaires, et ce serait des millions et des millions d’êtres humains qu’il faudrait ajouter à la liste des assassinés. C’est bien l’humanité tout entière qui était menacée de génocide et d’asservissement. D’où la nécessité de penser Auschwitz au niveau des valeurs fondamentales et non à celui d’un événement délimitable, une affaire classée. Il doit rester une référence essentielle et vivante pour les générations à venir, exempt de toute banalisation ou instrumentalisation ; non seulement en raison des questions qu’il soulève, mais aussi du fait de cette fonction de laboratoire qui lui fut assignée dans le cadre du “Reich de mille ans”. L’expérience de la barbarie rationnelle en plein xxe siècle en fait un avertissement capital.

Cet enseignement a contrario, pour ainsi dire, demande à être complété. Car si le nazisme fut vaincu militaire­ment par les armées alliées secondées par la Résistance, on ne dit pas assez qu’il fut vaincu aussi mo­rale­ment dans les camps de concentration, les ghettos, et jusque dans l’extermination “raciale”. L’immense entreprise de déshumanisation menée contre les résistants européens et les “sursitaires” juifs et tziganes du génocide doit être considérée comme un échec retentissant de la plus haute importance.

S’il est vrai que dans les conditions épouvantables où ils furent placés, nombre de détenus et déportés sombrèrent dans une dégradation physique et morale, il faut souligner que la responsabilité en incombe aux bourreaux et non – comme on l’entend parfois – aux victimes. C’est précisément ce qui fait tout le prix de l’action des résistants dans les camps nazis – qu’ils fussent juifs ou non – et de la solidarité individuelle ou collective dont firent preuve tant de déportés à l’égard des plus faibles et des plus me­nacés. Au sens large, la solidarité se confondait dans les camps avec la résistance. On sait qu’elle figurait parmi les objectifs principaux des organisations clandestines.

Et qu’on ne vienne pas dire que ces actes furent peu nombreux. La rareté des documents, l’incapacité de bien des survivants à témoigner, leur sous-estimation des gestes obscurs individuels et la disparité des récits ne doivent pas induire en erreur. L’étonnant, comme on a pu le dire, n’est pas qu’il y en eut si peu, mais que dans ces conditions-là il y en eut tant.

Cette victoire de l’homme dans ce qu’il a de meilleur, les valeurs si chèrement acquises à travers les millénaires, est partie intégrante des enseignements d’Auschwitz et du système concentrationnaire. Elle nous autorise à rêver, puisque rêver pour tracer sa route est aussi le propre de l’homme, au temps béni où, sortie de sa préhistoire – selon une formule célèbre – l’humanité pourrait enfin oublier Auschwitz. Mais tout comme la fleur tient son charme de sa vie éphémère, la beauté et la grandeur de la civilisation ont peut-être partie liée à sa fragilité."

 

Le livre de Maurice Cling Un enfant à Auschwitz est publié aux Les éditions de l'Atelier-Editions ouvrières, Paris, 2015, pp. 229-230. 

 

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