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Un blog sur l'histoire, la géographie et l'éducation civique enseignées dans un collège de Fontenay-sous-Bois

Quartiers populaires, jeunes, une alerte de l'UNICEF...

Le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) vient de publier un rapport issu d'une enquête de grande ampleur sur les jeunes en France et en particulier dans les quartiers populaires. 

 

Le journal l'Humanité dans son édition du 30 novembre 2016 revient avec le sociologue Serge Paugam sur les informations marquantes de ce document:

Quartiers populaires, jeunes, une alerte de l'UNICEF...

« Ces enfants font très jeunes l’expérience de la stigmatisation »

Entretien avec Serge Paugam réalisé par Alexandre Fache.


À l’occasion de son rapport intitulé « Grandir en France », l’Unicef a interrogé de nombreux jeunes de 6 à 18 ans. Résultat : les enfants des quartiers défavorisés sont largement conscients de ne pas avoir les mêmes chances que les autres. Analyse avec le sociologue Serge Paugam.

C’est déjà la troisième fois que l’Unicef tente de sonder les 6-18 ans en France. Près de 22 000 l’ont été entre octobre 2015 et juin 2016. Mais pour la première fois dans l’étude rendue publique hier, baptisée « Grandir en France », les résultats peuvent être différenciés selon les lieux d’habitation : centres-villes, quartiers périphériques plutôt aisés, quartiers populaires, quartiers « prioritaires ». Spécialiste de la pauvreté, le sociologue Serge Paugam, qui a coordonné ce travail, en décrypte les principaux enseignements.

Que retenez-vous de ce rapport ?
Serge Paugam Son intérêt principal est qu’il met en avant des résultats très rarement collectés. Dans une consultation qui s’adresse aux 6-18 ans, pouvoir toucher autant d’enfants et d’adolescents qui vivent dans ce qu’on appelle les « quartiers prioritaires de la ville » est capital. Car cela permet, en partant de leurs lieux de vie, de se rendre compte de l’impact, pour eux, des politiques publiques ou de leurs insuffisances. Et si les résultats confirment certains constats sur la prégnance des inégalités, ils contrecarrent aussi pas mal d’idées reçues.

Pouvez-vous détailler ces résultats ?
Serge Paugam Le rapport confirme ce qu’on savait en analysant le niveau de vie des parents : une concentration de la pauvreté dans ces quartiers dits « prioritaires ». Ce qui se traduit, pour les enfants, par des privations matérielles mais aussi d’accès au savoir, à la santé ou à des activités jugées trop chères. Bref, un cumul des inégalités. On voit aussi que, très jeunes, ces enfants ont le sentiment de ne pas avoir les mêmes droits que les autres. On aurait pu penser que cette prise de conscience arriverait plus tard, vers l’adolescence par exemple. Mais non. D’où cette question : quelle est la conséquence de ce lien de citoyenneté cassé sur leurs apprentissages ? Ce problème devrait être un sujet de préoccupation majeur pour nos responsables politiques.

Vous insistez sur ce sentiment précoce de discrimination...
Serge Paugam Oui, les enfants interrogés dans ces quartiers se sentent plus souvent discriminés, harcelés parfois, et sont particulièrement angoissés à l’idée de ne pas réussir à l’école. Ils semblent enfermés dans une représentation négative d’eux-mêmes, qui résulte de l’image de ces territoires. Ils font très tôt l’expérience de la différence, de la stigmatisation. Et quand ils sortent de leur quartier, ils sont souvent en difficulté, soit parce que leur valeur n’est pas reconnue, en raison de leur couleur de peau, soit parce qu’ils résident « à la mauvaise adresse ». D’où leur réflexe compréhensible de valoriser les liens tissés au sein de leur quartier, devenu refuge face à un monde hostile.

Qui répand cette image négative des quartiers populaires ?
Serge Paugam Les enfants évoquent souvent le système scolaire, au sein duquel ils se sentent discriminés, infériorisés. Plus généralement, ils confient aussi avoir peur des adultes, plus en tout cas que dans les quartiers favorisés. Mais au fond, la mauvaise image de ces quartiers est inscrite dans les perceptions globales de la société. Avec des conséquences que l’on connaît bien : par exemple, ces parents de catégorie supérieure, vivant à proximité d’une cité, qui vont tout faire pour que leur enfant n’aille pas dans l’école de ce quartier.

Il y a donc un cumul entre des inégalités réelles et une forme d’autodénigrement, savamment entretenu par la société...
Serge Paugam Oui. S’il n’y avait que la privation matérielle, il suffirait de mener des politiques plus massives de redistribution – ce qu’on ne fait pas assez aujourd’hui – pour régler le problème. Mais le phénomène est aussi de l’ordre du sentiment. Celui d’être rabaissé, jugé comme différent. D’où le réflexe de se tourner vers son quartier et ses « semblables », seuls à même de fournir une compensation au discrédit ressenti ailleurs. Au fond, le quartier n’est refuge que parce que l’extérieur est hostile et ne permet pas véritablement à ces enfants de s’intégrer socialement.

Parmi les résultats allant le plus à l’encontre des clichés, vous pointez celui-ci : 67 % des enfants des quartiers prioritaires déclarent être valorisés par leur mère et 55 % par leur père (contre respectivement 54 % et 44 % dans les quartiers plus favorisés).
Comment l’expliquez-vous ?
Serge Paugam C’est une réponse assez cinglante aux discours qui font des parents des quartiers populaires les principaux responsables de l’échec de leurs enfants. On les dit absents, désinvestis, pas assez attentifs à la scolarité de leurs enfants... En somme, on les accuse d’irresponsabilité parentale. Mais la réalité est tout autre quand on interroge les enfants. Cela ne veut pas dire que les parents des centres-villes aiment moins leurs enfants que ceux des quartiers défavorisés. Mais pour les enfants qui vivent dans ces quartiers, les liens familiaux sont vitaux. C’est leur sécurité unique.

Les résultats montrent aussi une solidarité plus marquée dans ces quartiers populaires...
Serge Paugam Oui, parce qu’il y existe des liens de proximité plus développés. On constate, par exemple, que les enfants ont plus souvent des membres de leur famille qui vivent près de leur domicile que dans les quartiers plus favorisés. C’est un premier lien fort, organisé autour d’une famille élargie. Par ailleurs, le climat de violence qui peut exister dans certaines zones difficiles semble en partie compensé par le sentiment qu’ont ces jeunes de pouvoir trouver de l’aide au sein de leur quartier.

Beaucoup des préconisations formulées par l’Unicef dans la foulée de cette étude tournent autour de l’école. C’est le lieu clé pour combattre ces inégalités ?
Serge Paugam Oui, mais pas seulement. C’est l’école en ce qu’elle est intégrée dans la cité qui doit servir de levier. Il faut arrêter de penser l’école comme un système clos, mais l’articuler encore plus à son environnement. L’étude a montré que quand les enfants sont privés d’activités extrascolaires (ce qui arrive beaucoup plus souvent dans les quartiers défavorisés), ils ont quatre fois plus de chance de se sentir angoissés à l’école. Réformer l’école, c’est aussi réformer son lien avec tous les autres acteurs de l’intégration.



L’alerte de l'Unicef
C’est un constat cinglant que dressent les enfants des quartiers défavorisés, interrogés par l’Unicef. Dès l’âge de 6 ans, ils sont 54 % à témoigner d’un manque d’accès aux savoirs (contre 37 % en centre-ville), 41 % d’un manque d’activités culturelles ou de loisirs (contre 25 %), 22 % se disent en situation de privation matérielle et 28 % en situation de privation d’accès aux soins. Devant cette situation, l’Unicef interpelle les candidats à l’élection présidentielle, formulant plusieurs recommandations : augmenter les places en crèches et la scolarisation des moins de 3 ans ; associer les enfants aux politiques publiques ; améliorer la formation des enseignants et mieux cibler les ressources sur les établissements qui en ont le plus besoin.

L'Humanité, 30 novembre 2016, page 13

Retrouvez le texte intégral du rapport de l'UNICEF ci dessous:

Et plus d'informations en ligne:

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