Vient de sortir au cinéma le film sur Georg Elser ce résistant allemand qui, en novembre 1939, tenta d'éliminer Hitler et les plus hauts dignitaires nazis en posant une bombe à Munich dans la brasserie où chaque année les dirigeants du régime commémoraient le putsch raté de 1923.
Un acte de courage, une tentative déterminée pour éliminer celui qui menaçait la paix du monde sur lesquels ce film revient. Il permet de mettre en avant ce personnage historique, longtemps resté dans l'ombre mais dont l'action de résistance fut bien plus précoce que celles longtemps montrées dans l'histoire de la période.
Voici la bande annonce de ce film.
Mais revenons sur la vie de Georg Elser. Le titre français du film "Elser un héros ordinaire" appuie sur le fait qu'il s'agit d'un simple ouvrier, un menuisier dont la vie ne semble pas exceptionnelle. Pourtant, il ne faudrait pas se méprendre. La détermination de cet homme, sa conscience du danger qu'incarne Hitler et le régime nazi pour l'Humanité et pour l'Allemagne sont loin d'être ordinaires.
Le titre original du film, en allemand : "Er hätte die Welt verändert" que l'on peut traduire par "Il voulait changer le monde" ou "Il aurait pu changer le monde" est moins ambiguë et montre plus le côté extraordinaire de l'histoire de Georg Elser.
J'ai connu le parcours et la biographie de ce personnage en lisant le dernier ouvrage de l'historien français, le germaniste Gilbert Badia (1916-2004) qui publia en 2000 "Ces Allemands qui ont affronté Hitler".
Le premier chapitre de ce livre (des pages 13 à 25) revient avec brio sur l'histoire et les motivations de ce "héros méconnu".
Johann Georg Elser est né en 1903 dans une famille de fermiers du Bade-Wurtemberg. Bon élève il devient apprenti à 14 ans se tournant vers une formation de tourneur en métaux puis de menuisier. Ouvrier qualifié il se fait embaucher près de chez lui puis au bord du lac de Constance dans le sud du pays.
Assez jeune il acquière une conscience politique de gauche. Il est syndiqué et vote communiste à chaque élection ce qu'il considère comme "un point d'honneur pour les ouvriers". En 1928 il devient même membre du Roter Frontkämpferbund organisation de combat communiste jusqu'à la dissolution de celle-ci l'année suivante.
Un documentaire fait bien plus tard en Allemagne de l'Est reprend des images d'archives sur cette organisation. Elle montre le type d'activités de ce groupe. Au delà des commentaires de propagande de ce documentaire qui entendent placer le régime de la RDA comme héritier de cette organisation, les images et les témoignage (en allemand) expliquent bien le rôle d'encadrement quasi paramilitaire de ce front rouge dont Elser fut membre un temps.
Mais Georg Elser n'adhère cependant jamais au parti communiste allemand (KPD).
Au début des années 1930, comme des millions d'Allemands, il perd son emploi et doit se débrouiller pour survivre modestement en fabriquant quelques meubles. Il retrouve du travail en 1935 et entre l'année suivante dans une usine d'armement. Car malgré les traités internationaux qui le lui interdisaient, l'Allemagne nazie à cette époque réarme et se prépare à une nouvelle guerre.
Georg Elser au milieu des années 1930. Photographie présente au Mémorial de Dachau. Schweizerisches Bundesarchiv CH-BAR
C'est à l'époque où est prise cette photographie que Georg Elser prend réellement conscience de la volonté belliciste du régime nazi.
Les faits lui donnent raison avec la crise des Sudettes, région de la Tchécoslovaquie réclamée par les nazis, et et leur invasion le 1er octobre 1938 au lendemain des accords de Munich par lesquelles les puissances occidentales (dont la France et la Grande-Bretagne) laissent les mains libres aux nazis.
C'est à l'automne 1938 et seul que Georg Elser se décide à mener une action radicale pour couper la tête du régime (Hitler, Goering et Goebbels.
Il choisit donc comme cible la brasserie (la Bürgerbräukeller) où Hitler et ses hommes avaient tenté de prendre le pouvoir en Bavière les 8 et 9 novembre 1923 en interrompant un meeting du chef du gouvernement bavarois de l'époque. Cette tentative de putch ratée avait valu à Hitler une arrestation et sa condamnation à une peine de prison. Après l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933, cet événement fondateur du nazisme était commémoré chaque année par les dignitaires du régime qui entendent faire des 14 morts nazis de cet épisode des héros nationaux.
En novembre donc 1938 Elser assiste aux cérémonies et au meeting de Minich. Il repère et les lieux et passe ensuite un an à préparer son attentat: il récupère, profitant de son travail, du matériel pour fabriquer une bombe, fait des essais dans le jardin de ses parents et finalement s'installe à Munich en août 1939.
Dans les trois mois précédants le 9 novembre, il se fait enfermer plus de 30 soirs dans la brasserie et travaille pour creuser le pilier de béton dans lequel il dissimule son engin.
L'attentat réussit (8 morts et plus de 60 blessés) mais rate Hitler dont le programme a été avancé d'une demi-heure du fait du brouillard l'empêchant de prendre un avion pour rejoindre Berlin. Il ne s'en est fallu que de 13 minutes pour que les dirigeants nazis soient encore là.
La brasserie de Munich après l'attentat de Georg Elser.
Au moment de l'attentat Elser est déjà loin. Il a été arrêté à la frontière germano suisse par des douaniers allemands dans la nuit précédant l'explosion. Ce n'est que quelques jours plus tard que le lien est fait, avec les éléments techniques et l'interrogatoire des commerçants, entre Elser et la bombe.
Au moment de son arrestation, Elser portait sur loin une photographie de la brasserie de Munich et un insigne du Roter Frontkämpferbund. Il est interrogé et torturé du 13 au 23 novembre et avoue finalement sa responsabilité dans l'attentat alors que la presse nazie tente de faire croire à l'implication des services secrets britanniques.
Image de Georg Elser après son arrestation.
En novembre 1939 Elser est envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen à Oranienburg au nord de Berlin en tant que "prisonnier spécial d'Hitler".
Georg Elser en habit de déporté. Photographie présente au Mémorial de Dachau. Schweizerisches Bundesarchiv CH-BAR
Il y reste jusqu'à la fin de 1944 date à laquelle il est transféré au camp de Dachau près de Munich en Bavière. Là il est encore placé à l'isolement, en cellule dans la prison du camp, le bunker.
Le bunker, prison du camp de Dachau, photographie Loïc Damiani, juillet 2015.
Alors que la défaite du nazisme est imminente, Georg Elser est assassiné, "exécuté sur ordre supérieur" (celui d'Hitler) le 9 avril 1945 le même jour que plusieurs autres résistants.
Ce film de 2015, nommé hors compétition au prestigieux festival de cinéma de Berlin est un hommage à voir à ce discret résistant allemand trop longtemps méconnu...