14 Novembre 2014
Un collège métamorphosé par l’abandon des notes
LE MONDE | 14.11.2014 à 11h06 • Mis à jour le 14.11.2014 à 12h53 |Par Maryline Baumard
Le vendredi est jour du marché à Vic-Fezensac. Une aubaine pour la ministre de l’éducation nationale, qui a choisi le gros bourg gersois pour commencer à faire ses provisions de bonnes pratiques pédagogiques. Najat Vallaud-Belkacem, qui va multiplier les visites d’écoles et de collèges adeptes de l’évaluation bienveillante, commence, le 14 novembre, par ce collège fer de lance de l’évaluation sans notes. Ce choix surprend le monde de l’éducation : si la réflexion sur des systèmes d’évaluation qui ne «cassent» pas les élèves est assez partagée, l’abolition pure et simple des notes est loin de faire consensus.
Il a beau s’appeler Gabriel-Séailles, à Vic-Fezensac on l’appelle « le collège ». L’ambiance y est familiale entre les 270 élèves et leurs 24 enseignants. Ici, l’anonymat n’existe pas, ce qui rend difficiles les carrières de cancre. « Tu vas pas y croire », lance Christel Thiriet, enseignante d’histoire-géographie, à l’attention de Lara Massartic, sa collègue de français : « Kevin a réussi deux évaluations successives...» Du haut de ses 11 ans, le gamin (son prénom a été modifié) a décroché des études dès son arrivée en 6e, en septembre. Mme Massartic lui a proposé d’oublier ce premier mois catastrophique et de repartir de zéro. « Avec la cadence des évaluations, les efforts paient très vite. De quoi remotiver. »
C’est pour des enfants comme Kevin que des enseignants, arrivés là au hasard des mutations, ont décidé, un jour de 2008, de changer de mode d’évaluation. « On en avait assez des élèves perdus pour les études dès le premier trimestre de 6e, désespérés de leurs notes. On a décidé, il y a six ans, de noter par compétences une classe de 6e tirée au sort », raconte le conseille principal d’éducation, Francis Fantoni. « L’année suivante, l’expérimentation a été reconduite avec la même classe, mais en 5ecette fois. Aujourd’hui, tout le collège est sans notes », ajoute-t-il.
« Au début, on évaluait les compétences en rouge ou en vert et on gardait une note globale chiffrée. Et puis, comme pour le passage du franc à l’euro, il faut à un moment supprimer l’un pour laisser vivre l’autre »,résume Lara Massartic. Les notes ne font donc leur retour que sur les bulletins trimestriels de 3e, pour l’orientation. Elles sont alors générées par un logiciel, comme la résultante du pourcentage de rouge et de vert de l’élève. Mille fois les détracteurs de l’expérience vicoise ont assimilé le « sans notes » à du laxisme ; mille fois les profs de Gabriel-Séailles ont prouvé l’inverse.
Mais là n’est pas l’essentiel aux yeux des enseignants. « Je me réjouis surtout que notre système ait fait monter le niveau d’ambition. On a tous connu les bons élèves qui se fixaient pour horizon le 12 sur 20. Avec les couleurs, ils ne peuvent pas mettre cette logique à l’œuvre. Nos très bons sont encore meilleurs et nos plus faibles perdent moins courage », rappelle Mme Boudier.
« On n’est plus le censeur »
Dans sa classe de 3e, Alexandre, profil premier de la classe, estime que les points colorés l’aident plus finement que les notes. « Quand j’ai un point rouge, je regarde la compétence que je ne maîtrise pas bien et la retravaille », ajoute le garçon. « C’est pour cette raison que nous évaluons des compétences très fines », enchérit
Mme Thiriet. « Ainsi, en français j’ai ajouté l’item “j’ai écrit un texte particulièrement réussi” qui permet de distinguer une bonne copie d’une excellente », ajoute-t-elle. Au fil des ans, la liste des compétences évolue. Le rapport aux résultats aussi.
Alors que la méthode était en rodage, Marie Boudier a débarqué un jour, inquiète, en salle des profs. « J’avais autorisé une 5e, qui avait raté son évaluation et maîtrisait parfaitement les attendus, à en refaire une... » Le débat sur le sens de l’évaluation qui a émergé ce jour-là s’est conclu très simplement : « On n’évalue pas pour piéger, mais pour que les élèves maîtrisent un savoir-faire. Avec cette définition, on pouvait les faire recomposer sereinement », se rassure Mme Boudier.
Le dispositif oblige les élèves à travailler beaucoup plus. « Quand ils n’ont pas réussi, ils viennent en soutien pour s’entraîner et être réévalués. Il n’est pas rare d’avoir toute une classe à ce moment facultatif. Quant aux cours, ils ne peuvent plus y dormir tranquilles parce qu’on contrôle tout le temps », ajoute Mme Thiriet.
Si la formule a métamorphosé les élèves, elle a aussi transformé la pédagogie. « On n’est plus le juge, le censeur ; on les accompagne et ils le savent », ajoute
Mme Boudier. D’ailleurs, Catherine Lasserre, la principale, juste arrivée, observe comment la méthode permet désormais d’amener tout le monde à son projet d’orientation. « On ne trie plus. On emmène chacun au maximum de ses possibilités avec un vrai bien-être », ajoute la chef d’établissement.
Côté parents, la confiance règne, même si les repères classiques sont bousculés. Claudine Ducos, mère d’élève, apprécie « l’autonomie que cela donne aux élèves pour se prendre en main et retravailler seuls leurs lacunes ». Pour elle, l’autoévaluation demandée à chacun en fin de devoir est « essentielle ». « Les adolescents doivent savoir où ils en sont pour prendre confiance en eux et en leurs compétences. » En revanche, la méthode n’apporte pas de solution au manque de travail à la maison, qui reste un point noir à Vic-Fezansac comme ailleurs.
Maryline Baumard
L'article du journal Le Monde en date du 14 novembre 2014.