29 Octobre 2018
L'Education nationale donne t-elle vraiment plus aux élèves défavorisés ?
Par Marie Piquemal — 24 octobre 2018 à 06:07
Pour la première fois, une étude portant sur les 900 collèges publics d'Ile-de-France documente de manière fine les inégalités territoriales. Les élèves des quartiers défavorisés ont beaucoup plus de chances d'avoir des profs contractuels pas formés ou avec peu d'expérience.
C’est entendu: l’école ne donne pas les mêmes chances de réussite à tous les enfants, l’origine sociale des parents a un impact important, et les études sur les inégalités sociales ne manquent pas, venant à chaque fois enfoncer le clou. Mais ce que l’on sait moins, c’est à quel point l’établissement (et donc le lieu) où est scolarisé l’élève joue ou non. Les inégalités territoriales sont un champ peu exploré par la recherche scientifique, et pourtant primordial si l’on veut des politiques publiques efficaces pour lutter contre les inégalités. Comment l’Education nationale répartit-elle ses moyennes sur le territoire ? Donne-t-elle les mêmes ressources aux petits Parisiens qu’aux élèves scolarisés dans le Val-d’Oise, par exemple ? Au sein même d’un département, comment sont distribuées les ressources entre les établissements situés dans les quartiers défavorisés et ceux dans les territoires aisés ?
Le Conseil national d’évaluation des politiques scolaires (Cnesco), que le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer entend faire disparaître, s’est saisi de la question. Depuis deux ans, l’équipe a entrepris un travail d’endurance. D’abord pour récupérer les données, la partie la plus compliquée, l’administration rechignant à communiquer certains chiffres, comme les absences d’enseignants. Quant à l’enseignement privé, qui répète être «coopérant», il répond aux abonnés absents dès qu’il s’agit de communiquer les données.
Un découpage haché menu.
L’étude du Cnesco publiée ce mercredi est «une petite brique, qui en appelle d’autres», comme dit sa présidente Nathalie Mons. Si elle ne porte que sur les 900 collèges publics franciliens (académies de Paris, Créteil et Versailles), elle a toutefois le mérite d’objectiver un ressenti de terrain : en Ile-de-France, l’Education nationale donne moins qualitativement aux élèves des territoires cumulant les difficultés qu'à ceux des quartiers favorisés.
Toute l’originalité de cette étude tient à la focale très resserrée : les chercheurs sont parvenus à regarder la répartition des ressources à une toute petite échelle établie par l’Insee, les Iris. Chaque Iris regroupe en moyenne 2 600 habitants. Cela permet de faire apparaître des inégalités invisibles à plus grande échelle. «Chacune des entités administratives – académies, départements, communes – présente, en son sein, des contrastes sociaux et scolaires qui biaisent très largement les chiffres moyens produits», explique ainsi le Cnesco.
La part de profs contractuels.
Il faut le rappeler : l’Education nationale ne s’en vante pas, mais elle a de plus en plus recours à des enseignants contractuels, c’est-à-dire des personnes titulaires d’un niveau licence ou master mais qui n’ont pas passé le concours d’enseignant, et n’ont donc pas suivi la formation initiale de deux ans. Ils atterrissent dans les classes, souvent en remplacement des profs absents, et se débrouillent comme ils peuvent pour enseigner. Logiquement, certains sont en difficulté, avec des répercussions évidentes pour les élèves. A ce titre, le nombre d’enseignants contractuels par territoire est donc un indicateur intéressant pour mesurer la façon dont l’Education nationale répartit les moyens.
Les écarts sont saisissants : il y a trois fois plus de contractuels dans les territoires défavorisés que dans les beaux quartiers. Avec des différences encore plus accentuées à l’intérieur même des départements. Ainsi par exemple, dans les territoires les plus pauvres du Val d'Oise, les collèges comptent près de 18% d’enseignants contractuels, alors que dans les banlieues favorisées du 93, la proportion tombe à 7%. A Paris, qui à l’exception de quelques poches de pauvreté, est socialement favorisé, le recours aux contractuels est faible, mais là encore avec des différences : 5,4% dans la plupart des quartiers et 8,2% dans les lieux cumulant le plus de difficultés économiques.
Les profs expérimentés et la stabilité des équipes.
Dans le discours, les ministres de l’Education successifs se targuent de donner plus à ceux qui ont moins. Comme le rappelait la semaine dernière la Cour des comptes, la politique d’éducation prioritaire se résume en grande majorité à des moyens quantitatifs, en jouant sur le nombre d’enseignants pour améliorer par classe. Dans cette étude, le Cnesco a regardé au microscope le profil qualitatif des enseignants, en croisant l’âge (et donc l’expérience) et le temps resté dans un même établissement (et donc le turn-over des équipes). Et là encore, les écarts sont frappants : on compte plus de 30% de professeurs de moins de 30 ans dans les territoires les plus en difficulté d’Ile-de-France. Ils sont moins de 10% dans les territoires les plus favorisés. Au manque d’expérience s’ajoute un turn-over plus important des profs dans les territoires défavorisés. Le taux d’enseignants restant plus de huit ans dans le même collège est deux fois plus faible dans les collèges défavorisés que dans les collèges parisiens ou des banlieues résidentielles aisées.
Les résultats de réussite au brevet des collèges.
Pour mesurer les écarts de réussite scolaire et donc l’impact (du moins en partie) des inégalités territoriales, le Cnesco choisit un indicateur intéressant : les résultats à l’examen final du brevet des collèges, en écartant les notes du contrôle continu qui peuvent varier d’un enseignant à l’autre. En Ile-de-France, les taux de réussite varient du simple au double selon le type de territoires : 55,8% de réussite dans les territoires parisiens et banlieue très favorisée et 23,4% dans les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques. Avec des disparités au sein même des départements. Ainsi dans les Yvelines, les territoires les plus défavorisés ont des résultats très nettement inférieurs à la moyenne au brevet, et à l’inverse les plus favorisés (Versailles) surperforment. Petite note positive quand même : «Certains départements parviennent tout de même à faire davantage réussir leurs élèves, comme Paris, la Seine-et-Marne, Saint-Denis et le Val-de-Marne.»
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