26 Février 2019
Soigner les traumatisés psychiques ?
La guerre des tranchées par sa brutalité phénoménale marque une étape nouvelle dans l’histoire des traumatismes liés aux combats. Pour la première fois, des soldats sont confrontés pendant des mois et des mois d’affilée, sans interruption, à l’utilisation d’armes dont les conséquences sur les organismes étaient jusqu’alors inconnues. Le confinement dans des boyaux boueux à attendre un éventuel assaut et le bruit continuel des canons sont souvent source de troubles qui confrontent les médecins à l’inconnu. Les corps et les âmes sont impactés au plus haut point. La violence de guerre touche des millions d’hommes qui côtoient la mort de près jour et nuit. L’utilisation massive de l’artillerie, le souffle des obus de tous calibre, les projection de montagnes de terre et de boue à chaque impact se révèlent rapidement être dévastateurs sur des hommes somme toute peu préparés à croupir dans un tel enfer. Assez vite après l’enlisement des combattants dans les tranchées, des symptômes jusques là inconnus font leur apparition au Front mais aussi dans les hôpitaux provisoires et dans ceux de l’arrière. Des soldats souffrent d’un mal inconnu que l’on a au début du mal à comprendre: “l’obusite“. De jeunes hommes hier en pleine condition physique semblent devenus des pantins incontrôlables. Après avoir subis une ou plusieurs ondes de choc liées à l’explosion d’une engin explosif à proximité (bombe, grenade, mine ou le plus souvent obus), ils sont touchés par des troubles nerveux parfois très impressionnants. Il n’y a pas forcément de lésion physique apparente mais un traumatisme psychique, une névrose profonde.
La peur est un facteur important de ces trouble. Elle en a été le terreau. Peur d’être tué, déchiqueté par une bombe, enterré vivant à cause de l’artillerie, les facteurs sont nombreux. Certains de ces soldats déterrés après avoir été ensevelis vivant sont mutiques. Ils peuvent être prostrés en position accroupie et incapables de se relever, d’autres sont pris de tremblements et incapables de contrôler leurs mouvements, d’autres encore le regard vide ne peuvent plus que pousser des bruits qui ressemblent plus à des borborygmes qu’à des mots.
Cette forme de folie appelée parfois “psychose des barbelés“ est qualifiée par les médecins militaires britanniques de shell-shock qui l’ont classé dès 1916 comme traumatisme mental. Ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom de “syndrome de stress post traumatique“ est tout d’abord considéré avec suspicion par l’Etat Major français et les médecins militaires. Ce mal nouveau et relativement massif est d’abord nié. Les médecins des ambulances, ces corps médicaux avancés, ont des instructions fermes. La volonté de l’armée devant ces troubles encore inexpliqués est de renvoyer le plus rapidement possible le plus grand nombre de ces poilus au combat. Certains sont même traités de simulateurs et traduits devant le conseil de guerre. Rapidement cependant, la question divise les spécialiste. Dans un monde où la psychiatrie est encore balbutiante on se méfie de la folie et de ce qu’elle pourrait cacher. Mais le nombre des soldats touchés par ces troubles se compte par dizaines de milliers dans les troupes françaises et autant chez les alliés. Les examens approfondis sur les patients montrent tout de même que les armes de guerre ont créé des troubles psychiatriques importants qui doivent être pris en compte. Avec le conflit, la psychiatrie doit s’adapter. Comment faut-il soigner ces “blessés“ ? Près du Front ? A l’arrière ? Par quelles méthodes ? Plusieurs ont été expérimentées. Assez variables dans la façon de faire et l’efficacité. Ce qui est certain c’est qu’en 1917 les séances de chocs électriques sont abandonnés au profit d’une approche neuro-psychiatrique. Les progrès de cette branche de la médecine mettent en évidence, durant la guerre, qu’il est préférable de traiter les chocs psychiques le plus tôt possible, sur le front même. Si ces blessés ne sont peu ou pas reconnus et pensionnés, la psychiatrie progresse, établit les tableaux cliniques pour tous ces syndromes. Ils ne font l’objet d’un barème d’indemnisation que 75 ans plus tard !
Un fontenaysien fut en première ligne de ces questionnements médicaux. Le docteur Roger Dupouy était en effet un neuro-psychiatre réputé, ancien chef de clinique à la faculté de médecine de Paris. Spécialiste des affections du système nerveux il collabore en 1913 à la revue L’Encéphale, journal mensuel de neurologie et de psychiatrie. Comme des milliers de médecins il fut mobilisé dans le service de santé des armées. Sur une photographie datée de janvier 1918 il est sur le front de Champagne, près de Fismes dans la Marne. Affecté dans un groupe médical de la 69ème Division de Réserve, il y travaille avec près d’une soixantaine d’hommes : médecins, pharmaciens, infirmiers et officiers d’administration. Comme médecin il est confronté à toutes les blessures de guerre, toutes les affections, toutes les pathologies et tous les symptômes possibles. Malgré l’importance numérique du traitement des blessures physiques causées par les obus, les balles et dans ce secteur les baïonnettes, l’attention du docteur Dupouy est particulièrement attirée par les traumatisés psychiques. Sa formation, sa spécialité et ses centres d’interêt le font surtout regarder de près ces hommes dont le mental est particulièrement atteint. Depuis des années en effet il a exerce son métier à la Maison de santé de Fontenay-sous-Bois, le Château. Il s’agit d’un établissement privé situé au 23 rue Saint-Germain sur le site de l’actuel stade André Laurent. Il se compose de plusieurs bâtiments dans un vaste parc qui s’étend jusqu’aux Carrières et à l’actuelle rue Gérard Philippe. Il est implanté dans la commune depuis 1899 et Roger Dupouy y travaille depuis des années. Avant guerre il accède à la direction médicale de cette institution. La principale spécialité de cette maison est le traitement des affections nerveuses, de la neurasthénie et plus globalement des maladies mentales. C’est à la fois un centre de soin et de convalescence mais qui n’accueille pas les cas les plus graves d’aliénation.
Après sa démobilisation, en 1919 le docteur reprend la direction du Château doté d’un matériel de pointe. Son le but est de soigner, soulager et accompagner les patients dans leur rétablissement. Si nous ne disposons pas de listes précises des malades et convalescents accueillis on sait que l’expérience de guerre du directeur est un élément important dans l’accueil de traumatisés de guerre. Si les progrès de la psychiatrie sont encore lents, le passage du médecin directeur sous l’uniforme lui a fait acquérir une connaissance poussée des effets psychiques et psychologiques du conflit. Elle lui est très utile avec ses nombreux patients…