Un blog sur l'histoire, la géographie et l'éducation civique enseignées dans un collège de Fontenay-sous-Bois
1 Octobre 2015
« Une classe sans élèves en échec est suspecte... »
Sylvie Ducatteau interroge André ANTIBI, Professeur à l'université Paul-Sabatier de Toulouse.
La ministre de l'Éducation nationale a présenté hier sa réforme de l'évaluation des élèves. Des mesures pas révolutionnaires, estime André Antibi, qui appelle surtout à un changement de mentalité.
Un bulletin numérique unique du CP à la troisième, des bilans de compétences en CE2, 6e et 3e, la possibilité d'utiliser encore les notes, un brevet rénové... La ministre Najat Vallaud- Belkacem a présenté hier ses arbitrages sur l'évaluation des élèves de primaire et de collège. Pour le chercheur en didactique André Antibi, inventeur du concept de « constante macabre », c'est surtout sur la mentalité des enseignants, dont beaucoup estiment normal d'avoir un pourcentage d'élèves en échec, qu'il faut agir.
COMMENT ANALYSEZVOUS LES ANNONCES DE LA MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE ?
ANDRÉ ANTIBI: La ministre n'a rien annoncé de révolutionnaire. Elle laisse la porte ouverte à différents modes d'évaluation et n'enferme pas le débat sur la question de « notes ou pas notes ». Dans le second degré, l'énorme majorité des enseignants en mettent et vont pouvoir continuer. Ceux qui veulent expérimenter d'autres modes d'évaluation pourront également le faire. Cela ne me dérange pas que le ministère ne soit pas contraignant. On laisse la liberté pédagogique aux professeurs et donc la possibilité de mettre en place l'évaluation par contrat de confiance que je préconise...
QUEL ENJEU SE JOUE AVEC L'ÉVALUATION ?
ANDRÉ ANTIBI: Au-delà de la simple question des « notes ou pas notes », c'est sur un certain état d'esprit qu'il faut agir. Dans une classe, s'il n'y a pas un pourcentage d'échec, cela paraît suspect! J'ai appelé ce phénomène la « constante macabre ». Dans certaines matières considérées comme secondaires la musique ou les arts plastiques , on peut avoir des moyennes de notes de 14 ou 15. Mais un professeur de mathématiques matière sélective qui aurait des élèves affichant une moyenne générale de 16 apparaît comme forcément anormal... Ce dysfonctionnement, largement reconnu, a un impact négatif sur l'ensemble du système éducatif. La « constante macabre » telle que je la définie repose sur la règle des trois tiers: un tiers de bons élèves, un tiers de moyens et un tiers de mauvais. Moi-même, à l'université, au début de ma carrière, avant que je ne découvre ce macabre phénomène, j'étais persuadé qu'unsujet d'examen devait donner lieu à une moyenne de 10 sur 20. Je considérais ma mission remplie avec une moitié de mes étudiants en échec! Et le plus terrible, c'est que je faisais cela sans m'en rendre compte. En France, le vrai problème est donc de changer les mentalités afin de considérer que, dans une classe, tous les élèves doivent réussir. C'est le vrai défi, plus que de savoir s'il faut mieux évaluer par « notes » ou par « compétences »...
COMMENT EXPLIQUER QUE CE PHÉNOMÈNE SOIT, DE VOTRE POINT DE VUE, INCONSCIENT ?
ANDRÉ ANTIBI: À mon sens, ces fameux troistiers « bons, moyens et mauvais » se construisent avant même l'évaluation finale, dès la phase d'apprentissage. Quand un professeur présente une leçon à ses élèves, certains comprennent immédiatement, d'autres plus lentement, d'autres pas du tout. La vitesse d'acquisition d'une notion est un phénomène naturel et il est tout à fait normal que l'on retrouve, grosso modo, ces trois groupes. Je suis convaincu qu'inconsciemment nous transposons ce schéma propre à la situation d'apprentissage à la phase d'évaluation. Or, cela n'a rien à voir. Il se peut qu'un élève n'ait pas compris à la fin de l'heure mais qu'il parvienne par la suite à combler cette lacune. Si le sujet d'évaluation se contente de sanctionner cette incompréhension ponctuelle, cela n'a aucun intérêt.
S'IL S'AGIT D'UNE QUESTION DE MENTALITÉ CHEZ LES ENSEIGNANTS, COMMENT AGIR DESSUS ?
ANDRÉ ANTIBI: Je fais souvent la comparaison avec la cigarette. Un fumeur à qui on explique que la cigarette est mauvaise pour la santé est souvent convaincu, mais dit : « je ne parviens pas à m'arrêter. Il faut m'aider ». Il ne suffit pas de savoir que la « constante macabre » existe pour s'en débarrasser. Pour l'éradiquer, les enseignants ont besoin d'aide. C'est ainsi que m'est apparue la nécessité de proposer un nouveau système d'évaluation. Je l'ai nommé contrat de confiance. C'est un peu comme le code de la route. Vous avez un fascicule, des situations de conduite, des panneaux. Le jour de l'examen, le candidat est interrogé sur une question dont la réponse figure dans le fascicule, à l'identique. Il n'y a pas de piège et ce n'est pas pour autant que tout le monde est reçu. Il faut avoir compris et être capable de restituer ce que l'on a appris. L'idée de l'évaluation par contrat de confiance, c'est cela. Quelques jours avant le contrôle, une semaine par exemple, le professeur donne une liste de questions toutes traitées en classe, si possible par écrit, pour officialiser la démarche. L'élève sait que, pour environ seize points sur vingt, les questions sont contenues dans la liste qui lui a été communiquée. Les quatre points restant reposent sur des questions absentes de la liste mais au programme et signalées comme telles par l'enseignant. Une deuxième étape est construite à partir d'une séance de questions-réponses, en amont du contrôle, où les élèves qui n'ont pas compris certains points peuvent poser toutes les questions qu'ils souhaitent. Un tel fonctionnement permet d'instaurer, au fur et à mesure, un climat de confiance entre le professeur et l'élève.
QUELS SONT LES IMPACTS DE CETTE CONFIANCE RETROUVÉE ?
ANDRÉ ANTIBI: Je n'avais pas mesuré dès le départ tous les bénéfices de la lutte contre la «constante macabre». Le premier bénéfice tiré du contrat de confiance est justement la confiance qui s'établit entre l'enseignant et l'élève. Le professeur devient un partenaire. Il n'est plus celui qui va vous piéger. Autre avantage énorme, les élèves travaillent infiniment plus car ils savent qu'ils ne travaillent pas pour rien. Ils savent qu'ils seront récompensés. Autre avantage, l'amélioration des relations avec les parents qui, même s'ils ne sont pas parfois en capacité de comprendre les exercices, peuvent voir où en est leur enfant. Enfin, les élèves sont beaucoup plus heureux en classe. Ils n'ont pas le stress de l'examen, du coup de chance, de l'impasse fatidique. On évite cette situation terrible de l'enfant qui a travaillé et qui n'est pas récompensé. Nous constatons que, si tout le monde, en France, est concerné par ce dysfonctionnement de la « constante macabre », les premiers à en faire les frais sont les enfants de milieux populaires. Il y a aujourd'hui énormément d'élèves en situation d'échec artificiel, et qui ne le seraient pas si le système d'évaluation actuelle ne fonctionnait comme une série de concours déguisés.